« Faire sortir les déboutés » illégalement de leur logement CADA : une chaîne continue de responsabilités.

Droit Au Logement Vienne (86)

Droit Au Logement Vienne (86)

« Je ne suis pas responsable dit le Kapo. Je ne suis pas responsable dit l’officier. Je ne suis pas responsable. Alors qui est responsable ? » Extrait du documentaire Nuit et Brouillard d’Alain Resnais.

Il faut se rendre à l’évidence, et nous ne pouvons que nous en réjouir, la politique de l’immigration, la politique du tout expulsion des migrants en situation irrégulière est un énorme fiasco. D’après la Circulaire Valls du 11 mars 2014 : « Le nombre de retours contraints hors Union européenne s’est établi à 4.676, soit une hausse de 13 % par rapport à 2012, même si ce nombre, en valeur absolue, demeure faible ». En effet, combien y a-t-il de personnes en situation irrégulière en France ? « En 2004, la Direction centrale du contrôle de l’immigration et de la lutte contre l’emploi clandestin (Diccilec) avançait le chiffre de 200 000 étrangers en situation irrégulière. Le Bureau international du travail estimait à la même époque qu’ils étaient 400 000. Aujourd’hui, le seul indicateur fiable mesurant le nombre de clandestins est le recours à l’Aide médicale d’état (AME) qui leur est réservée et qui s’élevait, fin 2011, à 208 974 bénéficiaires. Mais tous ne la demandent pas. » Immigration en France : ce qu’il faut savoir La Croix 22/10/13 Admettons qu’ils soient 200 000. 4 676 représente donc 2,33 % !

Sur Poitiers, trois affaires d’expulsions ratées ont défrayé la chronique ces derniers mois. D’abord cette famille russe arrivée le 12 novembre 2013, dont les enfants de 4 et 6 ans sont scolarisés aux écoles Renaudot et Damien Allard, qui sont en procédure « Dublin » donc expulsables vers la Pologne sans autre forme de procès, et que la préfecture a tenté d’expulser le 23 avril dernier. L’horreur de cette tentative d’expulsion a été évidente. Le père a menacé de se suicider devant sa femme et ses enfants dans l’hôtel lors de son arrestation. La mère à fait un malaise dans la voiture de police qui la conduisait elle et ses enfants à l’avion, contraignant les policiers à faire demi-tour et de la conduire elle et sa famille aux urgences. La mère et les enfants sont restés sur Poitiers, ils ont toutefois été expulsés de leur hôtel et mis à la rue par notre préfecture impitoyable. Le père expulsé en Pologne est revenu à Poitiers 5 jours plus tard… [VOIR : La politique à la petite semaine de la préfecture de Poitou-Charentes et Chroniques de l’horreur ordinaire : Comment se déroule réellement une expulsion ?]

Ensuite, Omar, membre de la communauté persécutée kurde-yézédie, en France et à Poitiers depuis le 22 juin 2009, soit depuis presque 5 ans à l’époque des faits, qui est divorcé, son ex-femme est en situation régulière, et qui a 3 enfants de 6 ans, 9 ans et 15 ans dont il a la garde partagée et dont il s’occupe, qui a fait une demande de régularisation dans le cadre de la circulaire Valls en mars 2014, a été arrêté, le 26 mai dernier, vers 15 h au volant de sa voiture et conduit au Centre de rétention de Bordeaux. Là, l’acharnement administrativo-juridique a duré jusqu’au 13 juin soit 18 jours. Puis Omar a été libéré. Son arrestation ayant été particulièrement violente, les policiers l’ayant blessé au point de lui provoquer un hématome au bras, puis l’ayant menotté dans le dos jusqu’à bordeaux ce qui a encore plus fait gonfler son bras. Le juge des libertés et de la détention (JLD) n’a pas retenu ces violences puisqu’il a considéré qu’Omar avait été bien soigné… Omar est revenu à Poitiers le 5 juillet après 20 jours d’hôpital. [VOIR : Les bonnes nouvelles se suivent et se ressemblent : Omar est de retour à Poitiers]

Enfin Sonya, une jeune femme arménienne de 37 ans, qui a été arrêtée à Poitiers le 21 juin dernier, convoquée le 26 juin, au commissariat sous un prétexte fallacieux, les policiers l’ont arrêtée et conduite au CRA (Centre de Rétention Administrative) de Mesnil-Amelot en vue de son expulsion. Elle a été libérée le 1er juillet vers 13h, soit 5 jours plus tard, et est retournée à Poitiers dans la soirée. [VOIR : Bonne nouvelle : Sonya a été libérée !]

Devant les grosses difficultés qu’ils ont à expulser, les pouvoirs publics sont amenés à utiliser des méthodes délétères, brutales et illégales pour faire partir les gens d’eux-mêmes. L’indignité et les carences du CHUS (Centre d’Hébergement d’Urgence Sociale), l’impuissance du SIAO (Service Intégré d’Accueil et d’Orientation), le défaussement du social sur le caritatif, mais aussi, la violation des droits élémentaires des personnes : l’affamement, la privation de moyen de se loger et de soins…, les discriminations, le harcèlement policier, le harcèlement administratif avec ses procédures ubuesques et les « dysfonctionnements » des services de la préfecture, le harcèlement juridique, le torpillage des associations de soutien et d’accompagnement, la désactivation des services sociaux… participe à l’entreprise de dissuasion et d’intimidation des migrants et autres indésirables.

« « Faire sortir les déboutés », c’est-à-dire les expulser […] de manière plus ou moins forcée » de leur logement en CADA, comme l’écrit Carolina Kobelinsky, dans l’article « Faire sortir les déboutés ». Gestion, contrôle et expulsion dans les centres pour demandeurs d’asile en France, publié dans Cultures et conflits, février 2009, participe de même à cette entreprise de démolition des familles, des couples et des personnes visant à faire partir d’eux-mêmes les déboutés du droit d’asile que les pouvoirs publics ont du mal à expulser.

Et du sommet de l’Etat au simple travailleur social en passant par les opérateurs sociaux, beaucoup s’emploient à expulser illégalement des déboutés avec plus ou moins de zèle.

D’abord, il est inexact, de dire comme le font EELV, PG, Ensemble, NPA que le Dal86 « incrimine les salariés plutôt que le système ». Le Dal86 a toujours incriminé la totalité de la chaîne de responsabilité. Le Dal86 à toujours pensé que du sommet de l’Etat au simple travailleur social en passant par les préfectures, les mairies, les conseils généraux, les opérateurs sociaux, tous sont responsables. D’ailleurs même si EELV, PG, Ensemble, NPA « constatent cependant que les familles « déboutées du droit d’asile sont fréquemment expulsées de leur logement à la demande de la préfecture et donc avec interventions des travailleurs sociaux », il n’empêche qu’ils tendent à considérer la responsabilité exclusive du système en voulant absolument exonérer les acteurs de terrain (travailleurs sociaux, personnels des préfectures et des administrations..). Or, nous allons le voir, ces derniers sont loin d’avoir un rôle négligeable dans la machine à expulser et en particulier lorsqu’il faut « « Faire sortir les déboutés », c’est-à-dire les expulser […] de manière plus ou moins forcée » de leur logement en CADA.

Et donc, au sommet, le Conseil d’Etat, dans une décision du 17 octobre 2012, a validé l’intégralité des dispositions de la circulaire du 19 août 2011 relative aux missions des CADA et des modalités de pilotage du dispositif national d’accueil. En particulier, la possibilité de la minoration de la dotation budgétaire en cas de « présence indue » de déboutés de la demande d’asile ainsi que la possibilité de retrait de l’habilitation notamment pour avoir maintenu en CADA de façon récurrente des personnes qui ne relèvent plus de la demande d’asile au-delà des délais réglementaires (un mois pour les déboutés et 3 mois renouvelables une fois pour les réfugiés statutaires).

Les préfectures sont chargées d’appliquer ces dispositions comme celles qui précédaient. Nous avons pu avoir accès aux échanges entre la préfecture et la Croix Rouge lorsque cette dernière a traîné la Famille M. au Tribunal d’Instance pour les faire sortir de leur logement HUDA. La froideur et la technicité des échanges, alors que des personnes, des familles des femmes et des enfants risquent de se retrouver en état de détresse, à la rue, quelquefois en plein hiver, compte tenu que c’est leur vie même qui est en jeu, fait froid dans le dos et a de quoi laisser pantois.

Dans le courrier de la Direction de la réglementation et des libertés publiques, service de l’immigration et de l’intégration, daté du 11 avril 2011, signé du secrétaire général de l’époque Jean-Philippe Setbon et adressé au Directeur de la Croix Rouge, après avoir précisé la situation administrative irrégulière de certaines personnes et familles hébergées, le courrier finit en précisant : « Je me permets de vous rappeler que l’hébergement des demandeurs d’asile au titre du BOP 303 nécessite une grande rigueur de gestion compte tenu de l’engorgement de ce dispositif. Aussi, les personnes n’ayant pas encore fait l’objet d’une mesure d’éloignement mais qui se sont vues notifier une décision définitive sur leur demande d’asile, soit de l’OFPRA en procédure prioritaire ou de la CNDA en procédure normale, ne sont plus éligibles à un hébergement au titre du BOP 303.

Je vous demande donc de bien vouloir sortir sans délai les personnes ci-dessus, et je vous informe que je procéderai à une déduction des crédits qui vous sont alloués au titre du BOP 303 et correspondants à toute la période pendant laquelle ces personnes ont été hébergées de manière indue. »

Le courrier suivant de la Direction de la réglementation et des libertés publiques, service de l’immigration et de l’intégration, daté du 10 mai 2011, signé du secrétaire général de l’époque Jean-Philippe Setbon et adressé au Directeur de la Croix Rouge, commence par « Par courriel du 29 avril 2011, vous m’avez transmis la liste des personnes bénéficiant d’un hébergement d’urgence au titre du BOP 303 afin de procéder à une vérification administrative des situations hébergées ». Puis suivent des informations sur deux dossiers de personnes qui ne doivent plus bénéficier de leur logement HUDA. Le secrétaire général demandant au directeur de la Croix Rouge 86 : « Vous voudrez bien faire le nécessaire pour que cette famille quitte son hébergement dans un délai de 8 jours à compter de la notification de ce courrier ». Concernant la seconde situation, une mention manuscrite inscrite dans la marge : « sortie le 03/06/11 », fait froid dans le dos. Le courrier continue : « D’autre part, lors de mes précédentes correspondances, je vous ai signalé les situations de demandeurs d’asile déboutés qui étaient hébergés au sein de votre dispositif de l’urgence et qui faisaient l’objet d’une obligation à quitter le territoire français. Je vous ai alors demandé de prendre toutes les dispositions afin que ces personnes quittent leurs hébergement d’urgence au titre du BOP 303. J’ai pu constater que certaines d’entre elles sont toujours présentes. Par conséquent, je procéderai à une déduction de crédits qui vous seront alloués au titre du BOP 303 et correspondant à toute la période pendant laquelle ces personnes ont été hébergées de manière indue à partir de la notification du courrier qui vous a été envoyé. Vous deviez sortir sans délai à compter du 5 avril 2011 (date de l’accusé de réception du courrier envoyé par mes services) les situations suivantes : » suivent 6 situations dont celles d’une femme seule avec son enfant et de 3 familles avec deux enfants chacune soit un total de 7 enfants, avec le calcul des déductions, par exemple : M. X et Mme Y et leurs deux enfants (15 € X 25 jours X 4 = 1500 €).

D’abord, nous pouvons voir combien rapporte – dans ce cas-là nous ne pouvons quand même pas parler de coût !- par mois aux hébergeurs sociaux une personne hébergée en HUDA : 450 € ! soit pour une familles de 4 personnes : 1800 €. Problème de maths : Compte tenu que la famille M. était hébergée dans un T2, quel est le bénéfice pour l’hébergeur social ? Ensuite, nous pouvons constater que la femme seule avec son enfant est « sortie » le 20/04/2011. Pour aller où ? Nous sommes bien curieux de le savoir. Nous ne savons pas bien trop pourquoi mais nous nous attendons au pire.

Le courrier de la préfecture finit par : « Soit une déduction totale de crédits d’un montant de 6510 € au titre du BOP 303 ».

Un autre courrier de la Direction de la réglementation et des libertés publiques, service de l’immigration et de l’intégration, daté du 11 janvier 2012, signé du secrétaire général de l’époque Jean-Philippe Setbon et adressé cette fois au président de la Croix Rouge 86, explique : « vous m’indiquez que la famille M. ne veut pas sortir de l’hébergement d’urgence [alors qu’elle a été déboutée du droit d’asile] […] Par conséquent, je vous demande de bien vouloir faire le nécessaire afin que cette famille déboutée quitte son hébergement au titre du BOP 303. Au préalable, il faut que vous adressiez une mise en demeure par courrier à cette famille avec accusé de réception afin de rapporter la preuve de l’absence de volonté de cette famille de libérer le logement. Je vous demande de bien vouloir m’indiquer à quelle date cette procédure sera mise en œuvre.

Si cette famille n’a pas donné suite à ce courrier, je vous demande d’engager une procédure de référé afin que le tribunal puisse ordonner la sortie de ces personnes du logement. Si aucune démarche n’a été effectuée dans ce sens, je vous invite à faire le nécessaire rapidement. Dans le cas contraire, je me verrai dans l’obligation de procéder à une déduction des crédits qui vous ont été alloués correspondant à toute la période pendant laquelle cette famille a été hébergée indûment. »

Et les associations et leur salariés, travailleurs sociaux, sont chargés du « sale boulot » sur le terrain : « « Faire sortir les déboutés », c’est-à-dire les expulser du centre de manière plus ou moins forcée, fait partie du  « sale boulot » que les travailleurs sociaux doivent accomplir et qui, d’après la définition donnée par Everett Hughes, correspond à des tâches qui sont physiquement dégoûtantes ou qui symbolisent quelque chose d’humiliant et de dégradant pour la personne. Ou encore, pour reprendre les termes de Christophe Desjours, il s’agirait de l’enrôlement des braves gens dans  « le mal » comme système de gestion, le  « mal » conçu comme la tolérance et la participation à l’injustice et à la souffrance infligée à autrui ». Carolina Kobelinsky, dans l’article « Faire sortir les déboutés ». Gestion, contrôle et expulsion dans les centres pour demandeurs d’asile en France, publié dans Cultures et conflits, février 2009.

Les méthodes employées sont principalement des techniques de harcèlement avec pressions, menaces, intimidations, chantages. Précisons qu’« expulser [les déboutés] de manière plus ou moins forcée » est non seulement d’une grande brutalité, mais c’est clairement illégal. En effet, la Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution est très claire : « Sauf disposition spéciale, l’expulsion ou l’évacuation d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux. S’il s’agit de personnes non dénommées, l’acte est remis au parquet à toutes fins. »

Par exemple, d’après les époux M. qui habitaient avec leurs deux enfants un appartement HUDA géré par la Croix Rouge 86, « la menace d’une expulsion illégale en faisant venir la police s’ils ne quittaient pas leur logement agrémentée de la référence à leur situation administrative irrégulière, à été récurrente. Madame M. nous a même raconté qu’un jour que le directeur de la Croix Rouge les avait menacés de faire faire venir la police, il y a un an, elle s’était mise à pleurer. A la suite de cette entrevue ils sont allés à un rendez-vous pour Monsieur M. chez un médecin qui, voyant les yeux de Madame M. rougis par les pleurs, lui a demandé ce qu’il n’allait pas. Elle n’a d’abord voulu rien dire. Puis devant l’insistance du médecin elle à expliqué pourquoi. Ce dernier a alors téléphoné au directeur de la Croix Rouge pour lui demander des explications, si c’était vrai que la Croix Rouge cherchait à expulser cette famille de son logement en la menaçant de faire venir la police. Le directeur de la Croix Rouge à nié et le médecin a dit aux époux M. qu’ils pouvaient se rassurer, la police ne viendrait pas ».Réponse du Dal86 au directeur général de la Croix Rouge Française 20-09-13

La Croix Rouge 86 s’est littéralement cassé les dents concernant l’expulsion de cette famille de leur logement HUDA (Hébergement d’Urgence des Demandeurs d’Asile) l’année dernière. Si la Croix Rouge, poussée par la préfecture comme nous l’avons vu plus haut, a saisi le Tribunal d’Instance et a obtenu une victoire juridique : deux mois pour quitter les lieux, elle a subi une vraie défaite politique. La procédure a été longue. Du 1er avril 2011 date à laquelle la préfecture de la Vienne informait la Croix Rouge de ce que la situation des époux M. n’avait plus « à être prise en charge », au procès au Tribunal d’instance le 15 mars 2013, près de deux ans se sont écoulés. Le procès initial devait avoir lieu le 25 octobre 2012. Reporté une première fois au 18 janvier 2013, puis une seconde fois au 15 mars. L’ordonnance devait être rendue le 26 avril mais le juge a mis un mois pour signer et l’huissier un mois et demi pour apporter la notification. Rappelons que normalement la signature du juge suivie de la notification de l’huissier ne prend pas plus de 7 jours. Pour le squat de l’Etape, le juge a signé le jour même et l’huissier est venu apporter la notification le lendemain ! Il y a eu aussi un vrai coup de théâtre pour cette affaire concernant la Famille M. Le 28 août, l’huissier est venu porter le commandement de quitter les lieux pour le 28 octobre 2013 soit 3 jours avant la trêve hivernale. La Croix Rouge a préféré transformer le contrat HUDA de la famille en hébergement d’urgence, contrat établit jusqu’au 31 décembre 2014, ce qui, trêve hivernale oblige, reporte le départ de la famille de son logement au 1er avril 2015 soit 4 ans jour pour jour depuis le début. Et s’ils ne partent pas toute la procédure sera à refaire. VOIR par exemple

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Permanences : tous les samedis matin de 11h à 12h Maison de la Solidarité 22 rue du Pigeon Blanc Poitiers

 

 

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