La logique de la préfecture envers les migrants

 

Droit Au Logement Vienne (86)

Droit Au Logement Vienne (86)

Nous avons longtemps désespéré [VOIR : Les préfets passent, les fonctionnaires du Service de l’immigration et de l’intégration restent… ] mais enfin, nous venons de comprendre. Pourquoi tout cet acharnement envers les migrants ? Pourquoi ces harcèlements impitoyables ? Pourquoi ces OQTF, ces assignations à résidence avec pointage plusieurs fois par semaine au commissariat ? Pourquoi ces placements en Centres de rétention ? Pourquoi ces expulsions ? Simplement – et même si ce « simplement » fait froid dans le dos – parce que c’est la loi…

La préfecture n’aurait aucune stratégie autre que de mettre en place des procédures et des routines afin d’appliquer la loi.

Ces procédures sont explicitées dans des circulaires ministérielles. Par exemple nous pouvons lire dans la Circulaire Valls du 11 mars 2014 NOR : INTK1400684C : « Dès que vos services auront constaté que le délai de départ volontaire est écoulé, une mesure d’assignation à résidence, en application des dispositions de l’article L, 561-2 du CESEDA pourra être prononcée, à défaut d’un placement en rétention. Les règles en la matière ont été exposées dans l’annexe II de la circulaire du 11 mars 2013 ainsi que dans la circulaire du 9 juillet 2013. J’appelle votre attention sur le fait qu’en application de l’article L. 512-1 du CESEDA, le recours contre cette décision est enserré dans des délais très stricts, ce que l’arrêté d’assignation à résidence ne devra pas manquer de rappeler.

Le ressortissant étranger (isolé ou famille) sera assigné, à l’hôtel, à son domicile s’il en possède un, ou dans une structure d’hébergement, tout en étant astreint à des obligations de pointage. La durée de l’assignation comme les obligations de pointage seront adaptées à chaque situation et vous veillerez à ce qu’elles ne se traduisent pas par une charge de travail excessive pour les forces de l’ordre. La prise en charge de l’hébergement devra, le cas échéant, être assurée sur le BOP 303 – Action 3 « Lutte contre l’immigration irrégulière ». En liaison avec les SGAP/SGAMI dont vous relevez, vous vérifierez préalablement la disponibilité des crédits destinés à ces assignations. »

Ces directives conduisent à mettre en place des routines bureaucratiques implacables : par exemple SI la personne est Demandeur d’Asile ALORS passage à l’OFPRA ; SI Refus ALORS recours CNDA ; SI refus de la CNDA ALORS arrêté portant refus de délivrance d’un titre de séjour ET OQTF avec délai d’un mois ; SI recours devant le TA ET SI débouté ALORS Recours en Appel TA ; SI débouté ET Si Demande d’admission exceptionnelle au séjour ET refus ALORS exécution OQTF ; SI échec ET SI pas de documents d’identité ALORS 2nde OQTF sans délais ET arrêté d’assignation à résidence de 45 jours ; SI recours devant le TA ET débouté ET SI Recours en Appel TA ET SI débouté ALORS retour à la case départ…

Ceci étant dit, cela pose un véritable problème moral et juridique. En d’autres temps d’autres lieux, les responsables qui s’étaient défendus au tribunal en disant : « je n’ai fait qu’obéir aux ordres » ont été condamnés et pendus ou exécutés. Le plus célèbre d’entre eux, Adolf Eichmann, avait espéré s’en tirer à bon compte en utilisant le « je n’ai fait que mon devoir » kantien. Cette position a été battue en brèche par Hannah Arendt dans son essai Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal. Eichmann était un fonctionnaire nazi ambitieux et zélé, chargé du transport des juifs lors de la déportation. Loin d’être le monstre sanguinaire qu’on a décrit, c’est un homme tristement banal, un homme ordinaire, un « petit homme », employé modèle, bureaucrate méticuleux, caractérisé par l’absence de pensée et par l’usage constant d’un langage technique et juridique.

Nous l’avons plusieurs fois rappelé l’attitude des fonctionnaires de la préfecture est clairement immorale. Comme Eichmann, ils semblent entièrement soumis à l’autorité et incapables de distinguer le bien du mal. Comme Eichmann, ils croient accomplir leur devoir en suivant scrupuleusement les consignes. Mais ce faisant, comme Eichmann, ils cessent de penser, c’est-à-dire d’exercer leur jugement critique afin de mener une réflexion sur les fins. Comme Eichmann, ils sont indifférents aux conséquences de leurs actes et de leurs décisions. Comme Eichmann, seule compte leur obéissance aux lois / ordres. C’est ce phénomène qu’Arendt décrit comme la banalité du mal.

Eichmann, lors de son procès déclara : « Je considère ce meurtre, l’extermination des Juifs, comme l’un des crimes majeurs de l’Humanité (…) mais à mon grand regret, étant lié par mon serment de loyauté, je devais dans mon secteur m’occuper de la question de l’organisation des transports. Je n’ai pas été relevé de ce serment… (…) Je ne me sens donc pas responsable en mon for intérieur. (…) J’étais adapté à ce travail de bureau dans le service, j’ai fait mon devoir, conformément aux ordres. Et on ne m’a jamais reproché d’avoir manqué à mon devoir. »

Mais si l’attitude d’Eichmann est immorale elle reste clairement légale : il obéit scrupuleusement aux ordres et par là applique les lois en vigueur, l’attitude de nos petits fonctionnaires est à la fois immorale et illégale. Bien-sûr, ils disent suivre scrupuleusement la loi, mais de quelle loi s’agit-il ? Car l’attitude morale ne consiste pas à appliquer la loi sans réfléchir, automatiquement – ce qui revient dans ce cas à obéir aux ordres – non l’attitude morale, et puisque nous sommes toujours confrontés dans l’action à un conflit de normes, consiste à évaluer les lois concurrentes et choisir d’appliquer la plus légitime.

Bien-sûr nos petits fonctionnaires cherchent comme Eichmann à se donner bonne conscience en disant qu’ils ne font que leur devoir, qu’ils obéissent à la loi. Mais pas plus qu’Eichmann et même moins que lui, ils ne peuvent se justifier et se donner bonne conscience. Car un gouffre sépare le monde d’Eichmann du monde de nos fonctionnaires. Le monde d’Eichmann est totalitaire. Il n’y a pas en lui de conflit de normes. Les ordres du Führer ont force de loi. C’est pour cela qu’Eichmann s’est défendu en disant qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres. Par contre, le monde de nos fonctionnaires est démocratique. Contrairement au monde d’Eichmann, ils se meuvent dans un monde gouverné par des conflits de normes. Eichmann était confronté à un dilemme moral autrement plus redoutable que nos petits fonctionnaires. Eichmann devait choisir entre la morale et le droit. Sa possible désobéissance aux ordres ne pouvait être que radicale. Nos fonctionnaires, eux, peuvent et doivent choisir – et bien choisir – en usant de leur sens moral entre des droits en conflits. Leur désobéissance à une loi est relative puisqu’elle est obéissance à une loi supérieure.

Précisément concernant les migrants, les fonctionnaires de la préfecture sont doublement fautifs dans ce qu’ils font quotidiennement. Ils sont fautifs comme Eichmann en ce qu’ils n’usent pas de leur sens moral et ne délibèrent pas sur les conséquences de leurs décisions et de leurs actes. Et leur faute va au-delà de celle d’Eichmann car ils ne choisissent pas la meilleure entre des normes en conflit. Leur devoir serait par exemple de considérer que le droit des enfants et le droit à avoir une vie décente sont infiniment supérieurs au CESEDA. Leur devoir serait de de respecter et appliquer les premiers et non le second.

Il est vrai aussi que les fonctionnaires de la préfecture ne sont pas aidés par les juges du Tribunal Administratif. Si on constate par exemple qu’il y a débat devant les Tribunaux d’instance concernant la primauté entre le droit au logement et le droit de propriété privée – débat qui existe même si ce dernier l’emporte toujours en dernière analyse sur le premier – on constate par ailleurs que devant le Tribunal Administratif, le CESEDA l’emporte sans vrai débat sur le droit des enfants ou sur le droit à la vie privée et familiale (Article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales). Par exemple nous pouvons lire cette horreur éthico-juridique dans les OQTF : « Considérant la jurisprudence du juge administratif qui estime de manière constante que la présence d’enfants mineurs, même scolarisés en France, ne fait pas obstacle à l’éloignement dès lors que n’existe aucun obstacle à ce que les parents les emmènent avec eux, la vie familiale pouvant se reconstituer sans dommages en dehors du territoire français ».

Bien sûr, bien-sûr… Les parents peuvent « amener » leurs enfants avec eux lors de leur « éloignement ». Mais c’est particulièrement formel et c’est occulter comment se passe réellement, n’ayons pas peur des mots, une expulsion ou plutôt une véritable déportation. Car qu’est-ce réellement « amener ses enfants avec soi lors de son éloignement » ? C’est concrètement, pour la mère de famille se faire arrêter et menotter dans le dos au commissariat lors de l’émargement lié à son assignation à résidence et être conduite à son domicile en voiture par des policiers pour aller arrêter son mari et leurs enfants de 4 et 6 ans. C’est mettre en place les conditions pour que le père menace de se suicider devant sa femme et ses enfants terrorisés. C’est mettre le père menotté un bras par dessus l’épaule, un bras dans le dos par le bas, dans une voiture de police et les enfants sur les genoux de la mère menottée dans le dos dans une voiture banalisée. C’est mettre en place les conditions pour que cette jeune mère de famille fasse un malaise et vomisse de peur devant ses enfants. Et lorsque la mère fait son malaise et que les enfants pleurent et crient, les mettre avec le père attaché au montant entre les portes, son fils sur les genoux et sa fille à côté de lui, dans la voiture banalisée. C’est tout faire pour que des enfants assistent en direct à l’arrestation et à l’expulsion de leurs parents et soient expulsés avec eux. C’est tout faire pour que les enfants assistent à l’humiliation de leur parents et ressortent traumatisés par la brutalité de la situation [VOIR] Après cela comment les fonctionnaires préfectoraux et les juges du Tribunal administratif peuvent-ils encore faire référence à l’« intérêt supérieur de l’enfant » ?

Nos petits fonctionnaires peuvent-ils vraiment continuer à considérer que ces expulsions / déportations sont dans l’intérêt supérieur des enfants ? Si Eichmann considérait « ce meurtre, l’extermination des Juifs, comme l’un des crimes majeurs de l’Humanité », nos petits fonctionnaires quant à eux semblent encore loin de considérer que ces expulsions / déportations sont des crimes qui violent la convention internationale des droits de l’enfant du 26 janvier 1990 et l’Article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il faut se rendre à l’évidence, les expulsions d’hommes, de femmes et d’enfants sont illégitimes et surtout complètement illégales. Les petits fonctionnaires de la préfecture, des tribunaux, des forces de l’ordre… ne peuvent donc pas invoquer leur obéissance à la loi pour justifier leurs mauvaises actions. D’autant plus qu’expulser les migrants, ça ne marche pas et c’est carrément absurde ! D’après la Circulaire Valls du 11 mars 2014 : « Le nombre de retours contraints hors Union européenne s’est établi à 4.676, soit une hausse de 13 % par rapport à 2012, même si ce nombre, en valeur absolue, demeure faible ». En effet, combien y a-t-il de personnes en situation irrégulière en France ? « En 2004, la Direction centrale du contrôle de l’immigration et de la lutte contre l’emploi clandestin (Diccilec) avançait le chiffre de 200 000 étrangers en situation irrégulière. Le Bureau international du travail estimait à la même époque qu’ils étaient 400 000. Aujourd’hui, le seul indicateur fiable mesurant le nombre de clandestins est le recours à l’Aide médicale d’état (AME) qui leur est réservée et qui s’élevait, fin 2011, à 208 974 bénéficiaires. Mais tous ne la demandent pas. » Immigration en France : ce qu’il faut savoir La Croix 22/10/13 Admettons qu’ils soient 200 000. 4 676 représente donc 2,33 % !

Pourquoi alors s’acharner de la sorte sur les migrants ? Pourquoi chercher à tout prix à les expulser au risque de violer gravement les lois ? Nous faisons l’hypothèse que c’est sous couvert de lutte contre le F-Haine, de faire son lit, de déployer le tapis rouge aux racistes et aux fascistes ! Une autre politique est possible, une politique d’accueil inconditionnel, Après le 15 et le 115, le 1115 ! Une politique qui abat les frontières !

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Permanences : tous les samedis matin de 11h à 12h Maison de la Solidarité 22 rue du Pigeon Blanc Poitiers

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