Nouvelle attaque contre les pauvres du centre-ville

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[Article trouvé dans dans le génial Coin Coin et publié avec l’autorisation des principaux intéressés.]

Vendredi 3 janvier 2014, D. fait la manche en centre-ville de Poitiers, en compagnie d’amis. Il demande poliment à un passant s’il n’aurait pas une petite pièce pour le dépanner. Selon D. et un ami, le passant aurait alors répondu par l’insulte : « C’est bon, dégage sale clochard ». D., qui ne supporte pas d’être traité avec un tel mépris (et on le comprend bien), jette sur le passant qui s’éloigne une bouteille en plastique, à moitié vide. Deux sympathiques policiers de la BAC lui sautent alors dessus pour l’emmener en garde à vue au commissariat, où il passera la nuit dans une cellule qui sent l’urine. D. apprendra entre temps, stupéfait, que le passant a porté plainte contre lui… D. passera en procès le 15 avril prochain.

Hasard ou pas, D. a milité pour le droit au logement il y a quelque temps, ce que des policiers lui auraient explicitement reproché. Hasard ou pas, le passant semble au contraire appartenir à une classe relativement aisée du centre-ville : selon la NR, il habite dans un « confortable appartement en plein centre-ville dans un beau quartier aux artères refaites à neuf par l’opération Cœur d’agglo ».

Tout ceci pourrait ne ressembler qu’à une énième stigmatisation/répression des pauvres, devenus indésirables dans un centre-ville que la mairie voudrait consacrer au dieu Commerce et aux riches. Mais la Nouvelle République, sous la plume de Loïc Lejay le 6 janvier, prend une fois de plus le parti des notables et des flics, en surenchérissant sur la version hallucinante du passant et des policiers. Sans prendre la peine d’interroger D. (qui se trouve pourtant tous les jours en centre-ville et répond volontiers), le journaliste affirme que le passant aurait été « insulté à plusieurs reprises », « molesté », « agressé », que D. se serait « précipité » sur lui et lui aurait « tapé dessus au niveau de l’épaule » avec une « bouteille » (dont il n’est même pas spécifié qu’elle était en plastique… histoire de laisser croire qu’elle était en verre ?). Le passant se félicite ensuite que la BAC ait été présente pour interpeller D., et dit qu’il envisage de déménager parce qu’il aurait vu « depuis plusieurs semaines le climat se détériorer et la tension monter ». Selon lui, le centre serait devenu « invivable »… rien que ça ! « Je suis désormais obligé de faire un détour pour rentrer chez moi pour éviter ces individus qui terrorisent les passants chaque jour et de manière très agressive en début de soirée. » Pour un peu, à le lire, les pauvres qui font la manche seraient des terroristes ! « Cela commence aux environs de 18h30. De nombreux commerçants et habitants de cette rue n’en peuvent plus de subir cette situation. » Le passant en appelle au maire, et passe au « nous » royal : « Nous avons besoin d’être écoutés… Et entendus. »

On pourrait juste rire de cette propagande de classe bourgeoise à la veille des élections, tirant vers la droite la plus infâme, s’il ne s’agissait que de relayer la version du passant sans employer le conditionnel. Mais La Nouvelle République va plus loin, affirmant que les « incivilités se multiplient » et que « le sentiment d’insécurité enfle dans l’hypercentre ». Dès le titre, le quotidien parle de « sécurité » et d’un passant « agressé ». Une photo montre six personnes tranquillement assises, dont trois avec des bouteilles de bière, les visages floutés… Non seulement la NR fait passer une agression présumée pour une agression réelle, mais elle stigmatise d’office les pauvres ayant l’outrecuidance de s’exhiber en centre-ville. Il s’agit bien entendu de faire peur aux lecteurs. Toujours dans l’optique de stigmatiser les pauvres qui font la manche, le journal évoque « des marginaux avinés » en chapeau, utilisant un pluriel n’ayant rien à voir avec l’affaire qui ne concerne que le passant et D.

Ce « journal » joue une fois de plus son rôle assumé dans la propagande de gentrification* menée par la mairie, la police et l’association des commerçants du centre. Pour tous ces notables, les pauvres deviennent systématiquement des « marginaux », un vocabulaire qui traduit peut-être leur intention de reléguer les gens vivant déjà la galère… à la « marge » du centre-ville ? L’angle politique apparaît aussi avec une critique implicite des « extrémistes grincheux », en début d’article.

Soutenons D. à son procès, le 15 avril prochain au tribunal de Poitiers, pour signifier notre ras-le-bol de la répression policière, de la politique de gentrification et de la propagande bourgeoise qui transforment notre centre-ville en désert social.

*gentrification : politique urbaine visant, au nom de la rénovation et de l’aménagement de l’espace public (ici « Coeur d’agglo »), à chasser les pauvres d’un quartier pour y installer des classes plus aisées. Exit les personnes qui se retrouvent en centre-ville pour partager des moments conviviaux : place à la galerie marchande géante à ciel ouvert, aseptisée de toute sociabilité gênant la bonne marche du tiroir-caisse.

D.Q.D. La Manche

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