La lettre ouverte que les habitants du Squat l’ÉTAPE ont envoyée à la préfète de région et au maire de Poitiers concernant l’éventualité de leur expulsion à partir de demain 29 octobre 2013.
Le 28 octobre 2013
Madame la préfète de la Vienne,
Monsieur le député maire de Poitiers,
Nous vous avons envoyé une lettre vous demandant un rendez-vous par recommandé le 19 octobre dernier. Sans réponse de votre part, nous envoyons cette lettre ouverte aux médias.
En effet, nous sommes les familles et célibataires expulsables du squat l’ÉTAPE à partir du 29 octobre 2013, et nous nous demandons : « qu’allons nous devenir ? Nous et nos enfants ? »
Ceux-là mêmes que vous dites non insérés, nos enfants, notre famille, ont fait leur première rentrée scolaire malgré bien des difficultés administratives qui se poursuivent, et ce sont ceux- là les premiers de nos familles qui apprennent pour la première fois à lire, écrire, compter, à parler français, comme nous, leur parents, au secours catholique. Nous sommes fiers d’eux, et eux, sont contents d’aller à l’école. Nous avons rencontré les professeurs, les classes ; ils ont fait une rentrée comme tout le monde, avec des cahiers, des crayons, des cartables. Ils n’ont toujours pas de carte de bus. Savez-vous ce que c’est de traverser la ville tous les jours avec deux, voire quatre tickets de bus ? Sans cantine, trop chère…
Nous sommes aussi de jeunes femmes enceintes, qui avons vécu ici des choses dures et difficiles dans la misère, nous avons souffert de fausses couches mais avons créé des liens entre nous : nous sommes autant solidaires entre nationalités semblables, qu’entre femmes venues de pays différents ; Nous avons accueilli les Africains seuls, les Africaines avec enfants, des Français, des familles de passage, tous à la rue. Nous leur avons préparé à manger, le café, une chambre. Nous aussi sommes « humaines », et connaissons la faim.
Nous avons toutes connu la rue et, pour certaines, le 115 (CHUS : Centre d’Hébergement d’Urgence Sociale), la caravane miteuse l’hiver à 25 personnes, savons combien vivre dans ces conditions est difficile, et sommes heureuses de nous retrouver ici. Nous nous aidons mutuellement, nous accrochons, et nous toutes, ne voulons pas partir ; pour aller où ? Et nos futurs enfants à naître, où iront –ils ?
Pourquoi est -ce à nous de donner à manger, à boire, un lit, si c’est pour nous mettre à la rue après ? Nous sommes parfois fatiguées, à bout, nos enfants sont malades, on ne peut pas bien les soigner, Est-ce notre faute ? Nous ne pouvons même pas avoir de bons traitements. Tout est difficile ; Notre mère ici (pour certaines) est très malade, qu’attendez-vous pour faire quelque chose pour elle ? Cela fait des mois qu’elle est souffrante.
Nous allons voir depuis plusieurs mois les assistantes sociales, nous voulons un hébergement décent, et on nous dit « désolé je ne peux rien pour vous », le SIAO (Système Intégré d’Accueil et d’Orientation), vous-mêmes, dîtes : « pas d’hébergement : votre seule solution : le 115 ! » Et le 115 dit qu’il n’y a pas de place. Où allons-nous aller ? Nous appelons le 115 tous les jours et c’est toujours la même réponse, et c’est dur d’aller au 115, allez y, allez voir comment c’est là bas, allez y dormir ; on ne peut même pas boire le thé au 115 avec son propre mari qui lui dort souvent dehors, faire sa lessive, manger, et certainement comme vous, nous n’aimons pas dormir séparé de notre époux (épouse).
Il n’y a personne pour nous aider à avoir une vie normale, à payer des charges, car nous voulons payer, certains d’entre nous vivent avec 250 euros par mois, d’autres sans rien, que devons nous faire ? Nous n’avons pas grand-chose, mais le peu que nous avons nous voulons le garder : quelques meubles, quelques objets. Et l’on devrait tout quitter ? De quel droit ? Êtes-vous prêts, vous, à tout quitter tout le temps, ne pas savoir où dormir, ne pas savoir à qui faire confiance, à qui demander de l’aide et tous les jours à avoir faim ? Êtes-vous prêts à prendre notre place ? Car nous toutes sommes d’accord pour vous la laisser.
Nous savons que la famille des Glières a été expulsée, mise dans un gymnase et séparée, que des pères et mères de famille ont des OQTF (Obligations de Quitter le Territoire Français), que des enfants scolarisés vont partir. Nous, nous sommes là dans cet endroit depuis avril 2013, des riverains nous aident, d’autres nous soutiennent et sont venus ici ; depuis avril 2013 nous n’avons aucune solution ; c’est à nous seuls de nous débrouiller. Et, dans le journal télévisé France 3 Poitou-Charentes et dans l’article paru dans 7 à Poitiers, vous dites aux journalistes que nous sommes « suivis » ici . Mais par qui ? Plusieurs d’entre nous ont été convoqués à l’OFII avec une personne de la Préfecture, avec interprète par téléphone. Certains ont signé des documents sans avoir copie de ce qu’ils signaient. Certains n’ont pas été convoqués. Aucun travailleur social n’est venu nous voir où nous habitons. Et nous n’avons à ce jour aucune réponse.
Nous n’avons qu’une chose à vous dire :
Nous voulons rester ici, à Poitiers, avoir une vie de famille, avoir des papiers pour pouvoir travailler et subvenir à nos besoins sans dépendre de l’assistanat ; nous sommes domiciliés ici, nous ne partirons pas. Car on en a marre de tout quitter tout le temps.
Nous lançons un appel aux personnes de Poitiers et d’ailleurs : qu’ils contactent la Préfecture de région et la Mairie de Poitiers s’ils veulent nous soutenir, nous, les familles et les personnes seules du squat l’ÉTAPE, à la rue pour certains depuis trois ans. Nous sommes humiliés dans ces institutions, nous comprenons vos regards et ce que vous dites dans notre dos et parfois en face. Maintenant on dit « stop ».Quant au harcèlement policier, lorsque nous sommes en règle, le chef nous dit souvent « je vais te ramener dans ton pays », dites leur que nous avons l’habitude. Nous n’avons plus rien dans nos pays : pas de maison, pas de suivi médical, plus d’attaches familiales. Certains d’entre nous sont en France depuis plusieurs années. La France est maintenant notre pays. Nous ne partirons pas. Nous attendons la Police.
Le collectif des familles et personnes seules du squat de l’ÉTAPE
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