Un rapport commandé par Matignon dresse un bilan accablant de la politique d’intégration menée depuis trente ans et suggère de régulariser une grande partie des sans-papiers.
« Une approche apaisée et confiante de la présence étrangère en France. » C’est à partir de ce postulat que le conseiller d’État Thierry Tuot a rédigé un rapport qui propose une « refondation » de la politique française de l’intégration. Ce long et précis travail qui débouche sur de nombreuses propositions repose sur un équilibre : concilier à la fois la tradition nationale d’« inclusion » (et non pas d’assimilation) en refusant le multiculturalisme, et un esprit de « tolérance » à l’égard des étrangers et de la religion musulmane.
Une critique sévère de la politique d’intégration
Ce rapport devrait être remis dans les prochains jours au premier ministre Jean-Marc Ayrault. Mais à la suite d’une rupture de l’embargo par l’AFP, La Croix en livre les principaux axes. L’auteur se livre d’abord à une critique sévère de la politique d’intégration menée par la France, estimant que les responsables, « tous partis confondus », ont « oublié jusqu’au mot même d’ intégration » et ont « détruit les outils » de cette politique.
En 2000, cet ancien directeur général du Fond d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS) avait écrit sous un pseudonyme Les indésirables, un ouvrage qui critiquait déjà l’inaction de la France en matière d’intégration des étrangers. Certaines propositions du rapport ne manqueront pas de faire à nouveau polémique.
Un « titre de tolérance » pour les sans-papiers
Afin d’aborder avec « franchise » les réalités de l’immigration, Thierry Tuot propose que l’État reconnaisse que la majorité des sans-papiers sont inexpulsables « soit parce que le pays vers lequel on les reconduirait leur ferait un très mauvais sort » soit en raison de leur « situation personnelle (enfants, santé…) »
Il faut selon lui commencer à les intégrer en créant une sorte de « titre de tolérance », leur permettant avec « des droits réduits » au moment de la délivrance et un parcours étalé sur cinq ans d’aboutir à une régularisation. La création de ce titre permettrait de se « substituer aux campagnes périodiques de régularisation » auxquels tous les gouvernants se livrent de bon gré ou pas.
Cette proposition a immédiatement déclenché les foudres de l’opposition. « Le premier ministre fait définir, par un rapport caché, le “mode d’emploi” d’une régularisation générale des clandestins », a estimé le député UMP Guillaume Larrivé. Il y a entre 200 000 et 400 000 sans-papiers en France. Environ 30 000 sont régularisés chaque année, et autant expulsés.
Accès à la nationalité
Pour faciliter l’intégration des primo-migrants, Thierry Tuot propose également une mesure forte. Il s’agirait de donner la nationalité « sur simple déclaration » aux jeunes qui ont suivi une scolarité complète en France ainsi qu’aux « ascendants de Français séjournant en France depuis vingt ans ou plus ».
Pour faciliter l’intégration des populations étrangères, le conseiller d’état fait également de nombreuses propositions qui concernent aussi bien la rénovation des foyers de travailleurs migrants, que les conditions d’attribution de logements sociaux. Thierry Tuot ne préconise pas directement, en revanche, de donner le droit de vote aux étrangers aux élections locales.
Relancer la politique d’intégration
Une large part du rapport est consacrée à la politique publique d’intégration. L’auteur suggère d’une part une remise à plat de l’organisation et des rôles des différents acteurs publics tel le Haut conseil à l’intégration. D’autre part, l’ancien directeur du Fas plaide pour un renforcement des dispositifs de soutien aux associations « en inventant des modes de financement plus simples et plus adaptés à leurs missions ». Thierry Tuot souligne le paradoxe selon lequel l’État a abandonné la politique d’intégration aux associations tout en procédant à des coupes budgétaires et des complications procédurales qui entravent leurs missions.
Bienveillance vis-à-vis de l’islam
Le rapport plaide pour une meilleure intégration de l’islam auquel il faut donner « toute sa place de grande religion ». Il suggère notamment de « permettre la création de nouveaux lieux de culte via le recours à des fondations ». De même conviendrait-il de faciliter les modalités d’implantation de carrés musulmans dans les cimetières. Mais au-delà des aspects techniques, c’est le plaidoyer de l’auteur en faveur d’un regard bienveillant sur l’islam qui risque de soulever des réserves. « La “question musulmane”, pure invention de ceux qui la posent, ne cesse d’enfler et de soucier, de polluer le débat public, et de troubler jusqu’au délire les meilleurs esprits. À l’islamisme (…) répond un laïcisme de combat, furibond et moralisateur. » Le rapport estime que les comportements vestimentaires (le voile) ou alimentaires ne posent pas de vrais problèmes à la société. « Laissons son culte se déployer, respectons la pleine liberté de ses croyants. »
Un rapport qui risque d’être vite enterré
Ce rapport va soulever bien des critiques au sein même de la majorité et ses propositions les plus fortes risquent d’être vite enterrées. Jeudi 7 février, sur Europe 1, le ministre de l’intérieur Manuel Valls a écarté l’idée de régulariser progressivement les sans-papiers inexpulsables. « Il n’y aura pas de régularisations massives », a-t-il redit, sans dévier de sa ligne. Les régularisations continueront d’avoir lieu « au cas par cas », a-t-il dit. Manuel Valls a aussi opposé une fin de non-recevoir à une acceptation plus large de certains comportements vestimentaires. « Le voile qui interdit aux femmes d’être ce qu’elles sont doit rester pour la République un combat essentiel », a-t-il dit.
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