Depuis que les demandes d’asile sont centralisées à Poitiers pour toute la région, les dispositifs d’aide et d’hébergement sont saturés. Explications
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Au restaurant social de l’association Toit du monde à Poitiers, un tiers des 24.000 repas servis en 2008 ont nourri des demandeurs d’asile • photo Quentin Petit
Cela fait deux semaines que Maxime (1) dort dehors. Trois nuits sur quatre parce qu’ils sont trop nombreux à taper à la porte du 115, l’hébergement d’urgence, à Poitiers. «Je connais au moins dix demandeurs d’asile comme moi», balance le jeune homme en arménien. Dans la Vienne, le sujet est délicat. Si délicat que les interlocuteurs sont peu nombreux à parler à visage découvert. «Sujet brûlant», dit-on à la direction départementale des Affaires sanitaires et sociales (Ddass) de la Vienne. «La situation est très tendue, confie un employé de la ville de Poitiers. Tendue en terme de logement et d’aide à la subsistance depuis qu’il n’y a plus de partage dans la région.» Tendue en matière d’aide tout court pour les demandeurs d’asile qui atterrissent en Poitou-Charentes.
Depuis la régionalisation liée à l’installation de la borne Eurodac (2) à la préfecture de région en mai 2008, l’accueil est centralisé à Poitiers. Le point unique pour obtenir une autorisation provisoire de séjour avant de préparer un dossier de demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) dans les 21 jours suivants.
Sauf que les délais sont longs. Arrivés mi-novembre à Poitiers, Vladimir, Irina et leurs deux enfants ont rendez-vous le 17 décembre. Liana et Alexandre l’ont déjà eu. «Mais on doit revenir en décembre parce qu’on n’avait pas d’interprète», raconte le couple. Femmes et enfants dorment dans les dortoirs du 115. Les hommes, eux, tournent: une nuit au chaud, trois nuits dehors, avec des couvertures données par la Croix-Rouge (3). Ils mangent au restaurant social de l’association Toit du monde. «On a droit à quinze repas dans le mois. Le soir, des fois, on ne mange pas. Ou on se partage des gâteaux et un peu de nourriture donnée par la Croix-Rouge», raconte Irina. Elle ne sait pas qu’il faut un interprète à la préfecture. Ne sait pas non plus que son mari peut prendre une douche au Relais Charbonnier, le pôle médico-social, ou qu’elle a droit à une carte de bus. Complètement larguée, sans beaucoup d’informations sur les démarches à suivre et ses droits. «Mais on ne blâme personne, dit Irina. On était prêt à aller n’importe où pour fuir la Russie.» Et à accepter tout ce qui se présente ici.
Sur le papier, la régionalisation avait l’air organisée: avec une association, Toit du monde, désignée comme plateforme régionale d’accueil, chargée de suivre les demandeurs d’asile dans toutes leurs démarches sociales et administratives. Un dispositif qui remplaçait les plateformes départementales existant auparavant à Angoulême, Niort ou La Rochelle, sachant que les trois quarts environ des crédits ont été transférés vers la Vienne (lire encadré).
Des bénévoles à la place de salariés
Créditée de 40.000 € supplémentaires par la Ddass en 2008, l’association Toit du monde a vu le nombre de nouveaux demandeurs d’asile augmenter de 20 % entre 2007 et 2008, passant de 276 à 325 personnes. Un afflux difficile à absorber, lié à la régionalisation, mais aussi à la hausse des demandes d’asile au niveau national.
C’est encore plus difficile depuis que la préfecture de région a commencé à basculer la mission d’accompagnement vers la délégation régionale de l’Office français de l’immigration (OFI), établissement d’État, en mars 2009. «On a perdu plus de la moitié de nos crédits, soit environ 100.000 €, précise Hubert Dujardin, le président de Toit du monde. L’an prochain, on s’attend à n’avoir rien du tout. On a dû licencier. Aujourd’hui, on compte surtout sur les bénévoles pour faire tourner un service minimum.» Malgré une demande accrue, les entretiens individuels sont passés de 797 au premier semestre 2008 à 502 au premier semestre 2009. La seule action encore financée est la rédaction du récit relatif à la demande d’asile. L’enveloppe liée à l’interprétariat s’est rétrécie alors que les personnes viennent majoritairement aujourd’hui d’Europe de l’Est – Georgiens, Arméniens, Tchétchènes – et qu’un interprète est presque toujours nécessaire.
«Aujourd’hui, il n’y a plus d’accompagnement des demandeurs d’asile dans la région.» Ce n’est pas une association qui le dit. C’est un employé de la Ddass. «J’ai vu des demandes gribouillées sur une feuille A4 partir vers l’Ofpra sans aucune chance d’aboutir», témoigne un professionnel. Sans assistance, sans interprète, c’est perdu d’avance.
A partir du 1er janvier, l’OFI reprendra tout à son compte. Tout, mais en moins bien. Un chiffre: aujourd’hui, 95 % des demandeurs d’asile sont déboutés par l’Ofpra, mais l’OFI n’est pas missionné pour aider les déboutés à monter un dossier de recours. Ceux-ci arrivent en masse à Toit du monde. La boucle est bouclée. On voudrait décourager les demandes d’asile, on ne s’y prendrait pas mieux. «Plus le niveau de prestations est élevé, plus les demandeurs d’asile sont là, dit Jean-Philippe Setbon, le secrétaire général de la préfecture de Poitiers. Toit du monde offrait des prestations qui allaient bien au-delà des obligations légales et tout ça sur des crédits publics.» Le droit d’asile est plus beau sur le papier que dans la réalité.
(1) Les noms ont été changés.
(2) La base de données de l’Union européenne de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile et des immigrants illégaux. Un requérant débouté dans un pays ne peut déposer une autre demande d’asile dans un autre état de l’Union européenne.
(3) La Croix-Rouge n’a pas souhaité répondre à nos questions.
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